"L'histoire ne sera plus jamais la même..."

Publié le par Patrick Lachapelle et Annie Lapierre

« L’histoire ne sera plus jamais la même… » exaltent les innombrables affiches qui arborent les rues de l’ensemble, ou presque, des municipalités de la région andine de la Bolivie, répétant les paroles d’Évo Morales, président démocratique de la République bolivienne. Effectivement, l’histoire des peuples autochtones boliviens, à voire même de ceux de l’ensemble de l’Amérique latine, s’est du coup vue transformée avec l’approbation référendaire de la campagne du SI, en faveur de la nouvelle et controversée constitution nationale proposée par le gouvernement en place.

Dimanche, 25 janvier 2009, les rues normalement chaotiques de La Paz laissèrent place à une tranquillité quasi absolue. Alors que, par mesure de sécurité, il était formellement interdit de circuler avec quelconques véhicules motorisés, les piétons et cyclistes affluèrent dans les rues de la capitale afin de se rendre à un des nombreux centres de votes installés temporairement dans tous les recoins de la ville. Avec un taux de participation dépassant les 85%, il semble bien que l’enjeu constitutionnel n’est pas découragé les boliviens à se déplacer aux urnes.

Il n’en demeure pas moins que, plus que jamais, la Bolivie est divisée, alors que l’on se doit de constater l’émergence et la survivance de plusieurs clivages géographiques, ethniques et ruraux/urbains, sans omettre les oppositions religieuses et de puissants milieux d’affaires.

Clivage géographique

Les suffrages donnèrent raison au camp du SI avec une majorité de 58,7 %. Mais pourquoi donc festoya le camp du NO également à la suite du dépouillage? L’histoire politique bolivienne permet d’expliquer, en partie, ce paradoxe. La Bolivie contemporaine est divisée en deux camps, deux régions ethniquement très différentes et économiquement très inégales. La région andine et la partie subtropicale de Cochabamba, formée des plus populeux départements de La Paz, Oruro, Potosi et Cochabamba, et la media luna, formée des moins populeux, mais plus vastes départements de Pando, Beni, Santa Cruz, Chuquisaca et Tarija. Alors que la région andine se compose majoritairement d’autochtones Aymaras et Quechuas, la media luna se compose de plus de 14 autres ethnies autochtones et d’une large population métissée, héritage de la conquête espagnole, et des plus récentes vagues d’immigrants Allemands et Est-Européens qui y déferlèrent à suite de la Deuxième Guerre mondiale. Ces riches immigrants achetèrent les terres les plus fertiles afin d’en exporter ses fruits, et se sont aujourd’hui constitués de véritables empires agraires, et sont assis sur la quasi-totalité des réserves gazières et pétrolières de Bolivie. Il est reconnu politiquement et historiquement que ces groupes de « nouveaux » Boliviens gagnèrent rapidement en influence politique, et selon plusieurs, sont ceux qui dirigent le pays depuis plus de 50 ans.

Ainsi, alors que le peuple bolivien, dans son ensemble, se prononça à presque 60% en faveur de la nouvelles constitution, la media luna se prononça, a son tour, a plus de 60% en défaveur de cette nouvelle constitution…Les deux camps évoquent donc avoir gagné à faire son point, démontrant son inclinaison ou non à accepter les lignes de la nouvelles constitution étatique.

Clivage ethnique

L’histoire bolivienne se crée à chaque moment depuis l’arrivée au pouvoir du premier président autochtone, Aymara, et ce, malgré le fait que plus de 70 % de la population se déclarent autochtones (Aymaras et Quechuas). Depuis 2002, il semble véritablement avoir un revirement démocratique avec l’avènement d’une conscience indigène, qui cherche par la voix démocratique à se faire davantage écouter et représenter dans les diverses institutions et décisions gouvernementales. Ainsi, on constate aujourd’hui un pays largement divisé entre les principales ethnies autochtones Aymaras et Quechuas issues des classes pauvres ou modestes, et les métissés de l’est du pays, fils d’immigrants, issus de milieux plus nantis. Il suffit de se promener dans la ville andine d’Oruro et la ville tropicale de Santa Cruz pour constater cette disparité de richesse entre les deux mondes, entre ces « deux » Bolivie.

Clivage ville/campagne

La Bolivie assiste également à une ère de prise de conscience des régions rurales qui recherchent davantage de représentation politique. Conséquemment, il est possible de constater que le vote pour de la nouvelle constitution se qualifie largement de votes « ruraux » : 82 % des votants en région rurale prêchèrent pour le SI, alors que seulement 52 % des votants en région urbaine en firent de même. Des neuf capitales départementales, et principales villes nationales, trois (La Paz, Oruro, Potosi) votèrent environ à 60 % pour la nouvelle constitution, alors que six (Cobija, Trinidad, Santa Cruz, Cochabamba, Tarija, Sucre) des autres votèrent à 60, 65, voire même près de 70 % en défaveur de la nouvelle constitution. L’importante différence des votes pourrait certainement voir naitre, dans les prochaines semaines, de sévères manifestations dans chacune de ces grandes villes.

La religion catholique contre la constitution

Dans les semaines qui précédèrent le référendum constitutionnel, les principaux représentants et autorités religieuses chrétiennes se sont élevés publiquement et fortement contre la nouvelle constitution. Leur motivation se fonde sur un changement, jugé important, apporté par le gouvernement en poste sur la clause de respect et reconnaissance religieuse prévue par la nouvelle constitution. Alors que l’ancienne constitution reconnaissait l’État bolivien comme un état catholique et romain, la nouvelle constitution ne reconnaît plus cette exclusivité d’un État catholique, mais affirme plutôt reconnaître le droit de pratique religieuse à tous, peu importe sa croyance, tout en affirmant explicitement l’indépendance de l’État face à quelconque religion. Tristement, des vagues de propagandes provenant de milieux religieux conservateurs et extrémistes affirmèrent que la nouvelle constitution serait foncièrement contre la religion catholique, ce que le président de la République ne cessa de démentir. « Lisez la nouvelle constitution. Elle reconnaît le droit à toutes et tous, sans distinctions, de pratiquer la religion ou croyance spirituelle qu’il souhaite », affirma-t-il dans son discours de la Plaza Murillo, lors de la célébration du camp du SI, le jeudi 22 janvier au soir, devant une foule bondée de partisans.

Pas seulement quelques arpents de terre…

Lors du vote référendaire, les Boliviens furent également invités à se prononcer sur une autre question, celle du droit à la terre. La seconde question proposée aux électeurs fut pour définir si la nouvelle constitution étatique permettrait aux citoyens boliviens de posséder un maximum de 10 000 hectares ou de 5000 hectares de terre. Près de 80 % des votants se prononcèrent en faveur d’une limitation à 5000 hectares de terre pour une seule personne. Cette limitation de possession foncière se base, selon le gouvernement actuel, sur le droit inaliénable du peuple bolivien à accéder à des terres. Cette clause interdirait ainsi aux nouveaux propriétaires fonciers à acheter et posséder plus d’un certain nombre d’hectares de terres, afin de permettre un accès plus facile aux citoyens moins nantis. Il faut noter que les quelques propriétaires actuels possédant plus de 5000 hectares n’ont rien à craindre puisque la clause est non rétroactive. Cependant, la même clause constitutionnelle prévoit que toute parcelle de terre non utilisée, au-delà des 5000 hectares, pourrait être saisie par le gouvernement, sans compensation aucune pour les propriétaires fonciers, afin que l’État puisse redistribuer ces terres à des paysans nécessitants. Inéluctablement, cette clause favorisa l’essor d’une aussi massive que puissante opposition de la part de la classe d’affaires de la media luna.

À en donner des gaz…

Autre clause de la constitution qui vit naitre plusieurs puissants opposants aux efforts démocratiques et socialistes du gouvernement Morales est la nationalisation des hydrocarbures, reconnus comme ressource naturelle stratégique pour le développement de la nation bolivienne. Possédant parmi les plus considérables réserves d’hydrocarbure au monde, le gouvernement socialiste d’Evo Morales s’empressa donc de nationaliser ce secteur économique. La légitime justification politique fut et est que les incommensurables bénéfices actuels et assurément futurs de ce secteur agiraient comme levier financier permettant l’investissement massif dans l’infrastructure sociale du pays, qui en a d’ailleurs immensément besoin. Après moins d’une année entière de nationalisation, et malgré les problèmes structurels normaux qu’impose une nationalisation, déjà les investissements se font ressentir, particulièrement dans les régions rurales où poussent de manière quasi exponentielle les écoles et les centres de santés publiques. Il va sans dire que cette manœuvre socialiste fut, et est toujours, sous assaut constant de la part des puissants entrepreneurs ayant perdu ce filon d’or.

Conclusion

En somme, il n’en demeure pas moins que la nouvelle constitution fut approuvée par une majorité nationale démocratique de 60 %. Mais, de partout, naissent les demandes pour relancer les dialogues entre le gouvernement national et les gouvernements départementaux afin de respecter l’expression démocratique de ces régions majoritairement opposées aux décisions politiques actuelles. Sans une relance des négociations, tout porte à croire que le pays sombrera dans des manifestations et, fort possiblement, dans de dramatiques violences similaires à celles que connues le pays à la suite du référendum révocatoire d’août 2008. Il est à espérer que l’histoire bolivienne soit réécrite tout en respectant les principes de civilités propres aux démocraties les plus épanouies. Seule l’histoire nous le dira…

Publié dans Janvier 2009

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